Anne-Charlène Bezzina est constitutionnaliste et maître de conférences en droit public à l'Université de Rouen et à Sciences Po Paris.
Il aura fallu attendre le décret présidentiel du 9 juin 2024 pour le croire : la dissolution n'est pas un droit constitutionnel entré en désuétude depuis 1997.
Hors Sujet
De cette décision présidentielle, de multiples leçons constitutionnelles pourront être tirées à propos de la déconnexion des calendriers d'élections, de la fin du fait majoritaire mais surtout de l'extrême vivacité de notre cinquième République qui offre ses atours à toutes les crises politiques.
Mais la décision du 9 juin a surtout changé le visage même de la dissolution.
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Par un acte sans contreseing, le chef de l'État décide de mettre fin aux mandats des députés, à tous les travaux en cours de discussion et partant, provoque de nouvelles élections anticipées souvent honnies par les oppositions.
Historique, ce droit de dissolution est avant tout stratégique. Plus qu'un pouvoir, c'est un art.
Sous la Ve République, l'article douze de notre Constitution tient compte des leçons de l'histoire en accordant ce pouvoir propre au président, tout en ne permettant pas deux dissolutions dans une même année pour éviter une trop grande instabilité, mais sans qu'aucune autre limite (si ce n'est celle de prendre des avis qui ne le lient pas) n'entrave la liberté politique du chef de l'État.
Cinq fois sous la cinquième République, trois présidents ont recouru à des dissolutions de tous genres : des dissolutions «coup de force» comme celles du général de Gaulle en 1962, qui réplique à une motion de censure en mettant fin au mandat des députés et la dissolution de 1968, qui s'inscrit aussi dans cette lignée.
D'autres dissolutions, plus feutrées, ont eu pour but d'obtenir de plus larges majorités comme celles de François Mitterrand en 1981 et 1988 (deux succès) et celle de Jacques Chirac en 1997 (un échec). Ces dernières ont été qualifiées de dissolutions à l'anglaise.
Demandant aux citoyens de faire de leur vote négatif un vote d'adhésion, il entend ainsi dramatiser la campagne à venir autour de son initiative politique personnelle.
Aujourd'hui, Emmanuel Macron a créé la dissolution «à la japonaise», en harakiri : la mort plutôt que le déshonneur.
Pour autant les conséquences politiques de cet acte ne sont pas toutes à mettre au crédit d'un nouveau type de responsabilité politique qui passerait par un retour démocratique aux urnes. De quel précédent le président actuel se réclame-t-il ?
Sûrement celui de 1968 où le général de Gaulle avait réussi «un raz de marée gaulliste» au scrutin législatif anticipé provoqué à la suite des évènements de mai.
Le général avait toutefois transformé une crise sociale en une crise politique, prenant les oppositions de court dans leur désorganisation et leur imparfaite récupération du conflit naissant entre la jeunesse et ses élites.
Tablant sur le retour à l'ordre, il avait réussi à coaliser autour de lui, ces mêmes Français qui l'avaient repoussé. Autre différence, c'est à l'international que de Gaulle avait pu se rassurer sur ses qualités de chef de guerre, lui donnant le poids nécessaire pour peser dans le conflit national.
La situation est aujourd'hui inversée, le président en titre sera «surveillé» par les puissances étrangères hostiles, crée la panique sur les marchés boursiers et les interlocuteurs internationaux à l'approche de l'organisation des Jeux olympiques.
Pour quel pari une telle déstabilisation nationale ?
Celui de la réunification de sa base autour d'un «projet de crise» pourrait tenir au vu du temps limité, inédit dans toutes les élections législatives de la Ve République, laissé aux oppositions pour organiser leurs discours.
Tout résulte cependant de l'interprétation que le président retient de la notion de «crise» utilisée maintes fois dans son discours du dimanche 9 juin.
De manière inédite dans toute l'histoire constitutionnelle, il fait suivre une élection par une autre ; battu, il renverse la table de son échec en créant une confusion électorale entre un scrutin européen et une élection législative nationale.
Demandant aux citoyens de faire de leur vote négatif un vote d'adhésion, il entend ainsi dramatiser la campagne à venir autour de son initiative politique personnelle.
La dissolution n'est pourtant pas une arme personnelle mais la sortie d'une crise disait Jacques Chirac en 1995, avant que la machine ne se retourne contre lui deux années plus tard. Ici, la dissolution servira certes à raccourcir le délai de latence permettant à une nouvelle majorité de renverser celle en place.
Ce pari politique pourrait conduire à tous les scénarios parlementaires mais surtout aux pires.
Ceux d'une Assemblée nationale fracturée, quelle que soit sa nouvelle couleur politique, autour de blocs insusceptibles de se rencontrer sur aucun projet qu'il soit financier, sécuritaire, intérieur ou éducatif puisque tout oppose les trois blocs extrêmes que cette législative de l'urgence fera entrer au sein de notre hémicycle déjà tant affaibli.
Comment la nouvelle assemblée dialoguera-t-elle avec le Sénat ? Quelle image donnera-t-elle aux juges censurant ses décisions ? Les partis les plus modérés, atomisés dans l'ouragan électoral, ne permettront plus aucune négociation de compromis.
Et le gouvernement ?
Comment cohabitera-t-il avec un président qui devait être le dernier barrage à son idéologie ?
Et comment trouver un nouveau premier ministre si la majorité obtenue est particulièrement morcelée et que les alliances varient trop pour faire émaner un nom consensuel ?
Les motions de censure risquent d'être nombreuses et l'instabilité pourrait à nouveau frapper la République française à l'instar de la IIIe et la IVe République.