A l’heure du bilan, le constat est amer car le changement de cap n’a pas eu lieu. Malgré quelques avancées, la crise de l’accueil et l’adoption du Pacte européen sur la migration et l’asile ont mis à mal le droit international et les droits fondamentaux des personnes exilées.
Ni juste ni plus humaine, la politique migratoire de la Vivaldi n’a pas été pas à la hauteur de ses engagements.
Une politique « juste et humaine » ?
Présentée en septembre 2020 comme une politique de rupture avec l’orientation « ferme mais humaine » menée lors de la précédente législature, la politique du secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi, puis de Nicole De Moor qui le remplacera dès le 27 juin 2022, se voulait « juste et humaine » .
Sammy Mahdi s’est présenté comme le garant de l’Etat de droit en faisant du respect du droit international, l’axe 1 de son exposé d’orientation politique.
Plus jamais la Belgique ne devait être condamnée pour non-respect du droit international .
A la recherche d’une politique cohérente avec l’approche du Pacte de l’ONU (pour rappel, le gouvernement précédent était tombé sur le Pacte des Nations Unies sur les migrations), des voies légales et sûres de migrations économiques devaient être mises en place.
L’aide publique au développement ne devait plus être instrumentalisée à des fins de politique migratoire répressive .
L’accord annonçait également que plus aucun enfant ne serait détenu dans des centres fermés en Belgique et qu’une attention serait portée aux personnes vulnérables LGBTQI+.
Il proposait que des solutions durables et personnalisées, autres que le retour, soient recherchées pour et avec les personnes en situation irrégulière (qu’elles soient sans papier depuis des années en Belgique ou en transit vers le Royaume- Uni).
Néanmoins, des reliquats de la politique migratoire répressive antérieure étaient toujours présents, comme la volonté d’augmenter les retours des personnes migrantes jugées indésirables.
Cela devait passer par la signature de plus d’accords de réadmission avec les pays tiers et la réalisation d’un « master plan » de centres fermés.
Aucune campagne de régularisation des personnes sans papiers n’était par ailleurs prévue.
Dans ses intentions, la politique de la Vivaldi proposait donc une vision globalement positive de la mobilité internationale et des personnes migrantes.
Cela a redonné espoir aux organisations de la société civile qui dès le début de la législature ont été consultées par le cabinet du secrétaire d’Etat.
Il fallait maintenant veiller, comme le recommandait le CNCD-11.11.11 dans son analyse de la déclaration gouvernementale de la Vivaldi en 2020, « à la mise en œuvre concrète des bonnes intentions du gouvernement tout en exigeant de ce dernier qu’il ne laisse « personne derrière », comme les personnes sans papier ».
Quelques portes ouvertes
La grande avancée de la Vivaldi est l’inscription dans la loi, en 2024, de l’interdiction de la détention d’enfants en centre fermé. Plusieurs bémols sont, cependant, à relever concernant cette avancée.
Le premier est que l’interdiction porte sur la détention d’enfants en centre fermé et pas sur les maisons de retour qui sont aussi des lieux de privation de liberté pour les familles exilées .
Deuxièmement, le soutien indéfectible de Nicole de Moor au Pacte européen sur la migration et l’asile est en contradiction avec la décision belge, vu que le pacte va entrainer la détention quasi systématique des personnes exilées, dès 12 ans, aux frontières de l’Union Européenne (voir notre analyse).
Un autre pas en avant concerne la migration dite économique. En juillet 2023, parallèlement à la réforme au niveau européen, le gouvernement belge a revu l’usage du Permis unique en Belgique, car il était jugé inefficace et ne garantissait pas les droits fondamentaux des travailleurs migrants.
Cette réforme va permettre d’améliorer les conditions de travail et d’accueil des titulaires du permis en Belgique.
Cependant, la réforme ne concerne pas tous les travailleurs et travailleuses migrantes car les personnes en situation irrégulière actives ne pourront pas y accéder (voir notre analyse).
On peut saluer également l’élaboration et la présentation à l’Assemblée générale des Nations Unies en mai 2022 d’un plan d’action belge pour la mise en œuvre du pacte des NU (2018).
Seul un tiers des pays signataires l’a fait. Celui-ci comprend un volet lié à l’amélioration des droits des travailleurs étrangers en Belgique.
Il est regrettable malgré tout que ce plan d’action n’ait pas été élaboré pour l’ensemble des 23 objectifs du Pacte au bénéfice d’une approche globale et cohérente (voir notre analyse).
Enfin, même si ce n’est pas une décision propre aux autorités belges mais bien des Institutions européennes, il faut saluer l’activation de la protection temporaire en 2022. Pour rappel, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un grand nombre de ressortissants d’Ukraine, dont beaucoup de femmes et enfants, ont dû fuir les violences de la guerre en direction de l’Europe.
Pour faire face à cette arrivée soudaine et importante de personnes aux frontières de l’Europe, le Conseil européen a décidé le 4 mars 2022, pour la première fois de son histoire, d’enclencher le mécanisme de la protection temporaire .
Cela a permis à plus de 70 000 personnes d’être accueillies en Belgique de façon fluide grâce à la participation de tous les acteurs concernés : les personnes exilées, les diasporas, les autorités politiques de tous niveaux et les citoyens solidaires. Un exemple à suivre.
Cependant, un point d’attention est à relever : pourquoi cet outil n’a-t-il pas été utilisé auparavant, lors de situations similaires comme en 2021 pour les ressortissants afghans ? Pourquoi les étudiants africains résidant en Ukraine n’ont-ils pas bénéficié de ce droit d’accueil ?
Le sentiment du deux poids, deux mesures entre les personnes migrantes est apparu de façon manifeste (voir notre analyse).
Trop de portes fermées
Ces avancées ne doivent cependant pas masquer les limites des politiques menées tout au long de cette législature.
La plus grande tache dans le bilan de la Vivaldi reste la gestion désastreuse de la crise d’accueil.
La Belgique a été condamnée à des milliers de reprises par des juridictions européennes et nationales pour non-respect de ses d’obligations d’accueil des demandeurs d’asile.
Face à cette situation, la société civile a proposé, en septembre 2022, une feuille de route de sortie de crise avec des propositions à court et à long terme.
Nicole de Moor les a rejetées en bloc alors que certaines étaient pourtant prévues dans la législation belge en cas de situation d’urgence.
En termes d’accueil, il est à déplorer que les engagements de relocalisation et de réinstallation pris par la Belgique en début de législature n’aient pas été respectés.
En 2022, seules 71 personnes ont été réinstallées en Belgique.
Ce nombre représente à peine 6% de l’objectif fixé au début de l’année 2021, soit 1 250 personnes .
L’objectif affiché de la secrétaire d’Etat est de décourager les personnes migrantes de se rendre en Belgique.
Elle a d’ailleurs mené plusieurs campagnes de dissuasion en ce sens lors de missions dans les pays du Sud.
Ce fut le cas en janvier 2023 avec le programme « Vous n’êtes pas les bienvenus » .
L’autre objectif de ces missions était de signer des accords de partenariat axés sur le retour (missions au Vietnam, Nigéria, Guinée, Tunisie, Maroc, Géorgie…).
Par ailleurs, pendant l’été 2021, près de 500 personnes sans papiers ont occupé pendant plusieurs mois l’Eglise du Béguinage à Bruxelles et y ont entamé une grève de la faim.
Elles espéraient être enfin entendues par le gouvernement dans le cadre de leur demande de régularisation de séjour.
Le gouvernement, après leur avoir promis d’examiner leur dossier individuellement avec humanité sur base d’une liste de critères communiqués de vive voix par l’Office des Etrangers (telles que les attaches familiales et sociales, le travail, l’éducation) a finalement donné une majorité de décisions négatives alors que les dossiers de la plupart de grévistes, étudiés et déposés par des avocats, répondaient aux critères énoncés.
L’Office des étrangers a approuvé 55 demandes de régularisation sur 442 dossiers .
Par ailleurs, les centres d’orientation et information pour les personnes en situation irrégulière (projets pilotes) se sont avérés être en réalité des centres essentiellement dédiés à l’identification et à l’acceptation d’un retour volontaire (bureau et coach ICAM).
Le déploiement d’un corps permanent de l’agence Frontex en Belgique, voté en mai 2024, a quant à lui, pour objectif de renforcer la police belge dans ses missions d’identification et de retours forcés des personnes exilées.
En outre, il est difficile d’effectuer un bilan de la Vivaldi en faisant abstraction du soutien de la Belgique au Pacte européen sur la migration et l’asile.
Certes, le multilatéralisme et la réforme de la politique européenne d’asile sont nécessaires, mais à condition que cela soit en vue de plus de respect des droits des personnes exilées et de plus de solidarité dans l’accueil entre les Etats européens.
Or, les cinq volets législatifs du pacte européen sont contraires au droit international. Le pacte une fois mis en œuvre d’ici 2026 sera inefficace et coûteux (voir nos analyses).
Il ne résoudra pas les crises structurelles de l’accueil, et va même plutôt les aggraver.
Il est contraire à l’orientation positive du Pacte des Nations Unies pour les migrations pourtant soutenue par la Belgique en 2018.
Bilan : une politique migratoire qui n’est pas à la hauteur de ses engagements
Le changement de cap de la politique migratoire belge n’a pas eu lieu. Son caractère juste et humain a fait défaut. A ce jour, l’Etat de droit est en danger .
A cela s’ajoute, à la veille des élections 2024, une vive inquiétude sur la possible montée de l’extrême droite en Europe.
D’année en année, les idées de l’extrême droite sur la migration ont infusé la droite modérée.
L’Europe forteresse fait office de nouveau leitmotiv.
Il faut donc, plus que jamais, exiger de nos mandataires politiques le respect inconditionnel du droit international et la fin du deux poids, deux mesures s’ils veulent rester crédibles et les garants des valeurs démocratiques.