À la Gaîté Lyrique, à Paris, l’exposition « Coalition.
15 ans d’art et d’écologie » a présenté un bilan autour d’une cinquantaine d’œuvres reliées au vivant.
Entretien avec la commissaire Lauranne Germond, co-fondatrice et directrice de l'association Coalition pour une écologie culturelle.
Lauranne Germond : En 2008, elle était très faible.
On avait cette conviction, cette envie qu'il fallait mobiliser les artistes et que la création avait un rôle à jouer sur ces questions.
Néanmoins, une fois cela dit, il y avait assez peu d'artistes visibles.
Il fallait identifier les institutions culturelles qui se sont très peu, voire pas du tout emparées de la question.
En France en particulier. Dans d'autres pays, en Angleterre ou aux États-Unis, il y avait des scènes un peu plus visibles et représentées qu’en France où c'était un sujet quasiment inexistant.
Quel est pour vous aujourd'hui le premier défi de l'art concernant l'écologie ?
Aujourd'hui, ça s'est totalement transformé.
L'écologie est partout dans le monde culturel. Depuis deux ou trois ans, c'est d'autant plus significatif.
La question aujourd'hui, c'est comment on réinvente des manières d'habiter la terre qui soient plus justes, plus équilibrées.
Comment recrée-t-on un lien au vivant ?
Comment considère-t-on le vivant qui nous entoure et en ce sens-là, la culture ?
Aujourd'hui, de plus en plus d'artistes s'engagent sur ces sujets pour trouver des nouvelles trajectoires, de nouvelles solutions et pratiques de réparation, pour nous inviter à changer nos manières de faire, de vivre, de penser, de produire dans un rapport plus équilibré.
« Eco-combattant forestier » (2003) du duo artistique Art Orienté Objet.
L'exposition commence avec un cri. Qu'est-ce qui se cache derrière Le cri (2024) de Thierry Boutonnier ?
Thierry Boutonnier était en 2010 le premier lauréat du prix COAL pour son projet Prenez racines !. Ce cri, c'est le cri des sans voix, le cri de la nature.
Le cri des agriculteurs aussi, parce que Thierry est fils d'agriculteur.
Il avait envie de porter la voix des agriculteurs, à l'heure de la loi EGALIM [censée garantir une rémunération correcte aux agriculteurs, Ndlr] et de tous les effets néfastes sur les agriculteurs et sur les écosystèmes.
Ce cri, c'est celui de toutes ces entités du vivant qui ne sont pas représentées, qui disparaissent, qui meurent sous nos yeux dans l'indifférence générale.
Il a mis en évidence plus de 21 entités de la nature qui ont pu bénéficier pour certaines d'avoir une personnalité juridique.
Il a essayé d’obtenir à ces entités vivantes une représentation leur permettant de se défendre face aux destructions et aux écocides qu'elles subissent.
C'est vraiment un cri pour les sans voix, pour toutes ces entités du vivant, mais aussi des minorités humaines qui n'ont pas la parole pour agir sur ces transformations du monde. Martin Le Chevallier : « Ophélie » (2014).
Entre autres, vous exposez le Manifeste du photosynthésisme qui promet la naissance d'une nouvelle ère. De quelle ère parlons-nous ?
Avec son Manifeste du photosynthésisme, l’Américain Michael Wang prend le contre-pied du Manifeste du futurisme qui avait été publié au début du XXe siècle.
Les artistes futuristes se glorifiaient de la vitesse, de la fumée, des usines, de l'acier, des matériaux, de la dépense en général et qui est finalement le manifeste de notre époque des dernières décennies.
Aujourd'hui, Michael Wang invite au contraire à une pratique qui s'inspirerait de la plante, à savoir trouver son énergie non pas dans la destruction, mais dans la régénération, dans un rapport plus végétatif, dans le sens du ralentissement, du respect de ce qui nous entoure et non pas dans une dimension prédatrice comme c'était prôné par les futuristes.
C'est ce qu'on retrouve dans cette première espace de l'exposition : des artistes qui reviennent ou qui cherchent les voies d'une sobriété, les voies d'un rapport harmonieux avec la nature dans leur rapport aux matériaux.
Derrière moi, il y a cette cabane de Sara Favriau, tout en bois, un espace, un anti-white cube.
Cette cabane est aussi un lieu d'accueil d'œuvres et d'expositions, mais en retournant complètement les principes, parce qu’elle va accueillir toute une diversité d'écosystèmes.
On a à l'intérieur ces œuvres de Louis Guillaume qui nous propose une « Vénus » qui n’est pas faite dans un matériau pérenne, mais dans des graines de Stipa.
Louis Guillaume travaille beaucoup sur la question des potentiels de matériaux inédits inexplorés, comme ces graines de Stipa qui sont finalement une plante invasive importée par les paysagistes et les urbanistes d’aujourd’hui.
Si on croit aux résultats apportés par le Shift Project dans le domaine culturel, c'est souvent le transport qui est coupable ou responsable de l'impact carbone et de tout ce qui va avec dans un projet culturel comme cette exposition.
En tant qu’association, qu’avez-vous changé ou voulez-vous encore changer dans votre démarche ou celle des spectateurs ?
Toutes ces œuvres et tous les artistes ici incarnent, chacun à sa manière, une tentative de transformation à l'échelle individuelle qu'on retrouve dans leurs pratiques, qu'on retrouve aussi souvent dans leur mode de vie.
Chacune de ces œuvres est un petit aperçu de toute une démarche que des artistes portent dans leur façon de vivre, dans leurs lieux de vie.
Souvent, les projets dépassent largement la production de l'œuvre d'art en elle-même, ils s’incarnent dans des communautés de projets, dans des espaces in situ qui tentent d'habiter autrement.
C'est tous ces champs des possibles qu'on a envie de partager et de montrer.
On a voulu faire une exposition qui soit positive.
Laurent Tixador et Julia Hanadi Al Abed : “Bamboo” (2023). Composition acousmatique pour 450 tubes de bambous.
Vous avez créé un prix spécial étudiant. Pourriez-vous nous parler d'un projet prometteur ?
Nous avons créé ce prix étudiant aussi pour aider les écoles à introduire ces enjeux dans la formation.
Notre dernier lauréat, Ulysse Massey [étudiant à l’École nationale supérieure des Arts décoratifs, NDLR], travaille sur les microplastiques dans les océans et il a fait tout un travail sur le tissage, sur les matériaux, sur une forme de sobriété.
Il a fabriqué lui-même son métier à tisser. Il est parti dans une réserve naturelle étudier et collaborer avec des scientifiques pour affiner sa démarche et mettre en place tout un processus à la fois de réparation et d'usage de ces microplastiques pour les réexplorer et les réétudier.
Vous avez reçu 8 256 dossiers de plus de 80 pays du monde entier. Je n’ai pas vu d’œuvre venue d’un pays africain. De quelle façon l'Afrique est-elle reliée à votre projet ?
Le Prix COAL Art et Environnement repose sur un appel à projets, avec toute la richesse qu'on peut avoir avec des projets de partout dans le monde, faire des découvertes extraordinaires d'artistes qu'on ne connaissait pas… A contrario, sa faiblesse, c'est difficile de savoir auprès de qui l’information est diffusée.
Les voies du numérique sont insondables et c’est finalement difficile à toucher les artistes.
Et malgré de nombreuses tentatives, on reçoit beaucoup moins de dossiers de certains continents.
Malheureusement, c'est vrai que l’Afrique est aujourd’hui le continent le moins bien représenté dans les réponses qu'on reçoit à notre appel à projets.
Vue de l’exposition « Coalition. 15 ans d’art et d’écologie » à la Gaîté Lyrique, à Paris.