« Mère des pays » : Une fresque théâtrale qui interroge l’histoire et l’identité tunisienne

VISION-Sallam Awad;- Dans le cadre de la 59e édition du Festival International de Hammamet, qui se déroule du 11 juillet au 13 août 2025, la soirée du 16 juillet a été marquée par une performance théâtrale d’exception avec « Mère des pays », mise en scène par Hafedh Khalifa sur un texte d’Ezzedine Madani.

« Mère des pays » : Une fresque théâtrale qui interroge l’histoire et l’identité tunisienne

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Cette œuvre, produite par la compagnie Fen Eddafetin, a transporté le public dans une réflexion profonde sur l’histoire hafside, l’État, et l’identité tunisienne, à travers une mise en scène moderne et une distribution impressionnante.

Un voyage dans l’histoire hafside

« Mère des pays » plonge les spectateurs au cœur du XIIIe siècle, sous le règne d’Abou Zakaria El Hafsi, fondateur de la dynastie hafside.

Cette période, marquée par une économie florissante, un commerce prospère et des valeurs d’équité et d’ouverture, est présentée comme un miroir réfléchissant les enjeux contemporains.

Le texte d’Ezzedine Madani, riche et dense, oppose le règne éclairé d’Abou Zakaria à celui de son fils Al-Mustansir Billah, symbole du déclin et de l’égarement des principes, offrant ainsi une méditation sur la construction et la fragilité de l’État. 

La scène a vibré grâce à une trentaine d’interprètes, mêlant figures emblématiques comme Aziza Boulabiar, Jalel Eddine Saadi, Jamila Camara, Abdellatif Boualegue, et de jeunes talents tels que Chaima Essamari, Shahab Chbil et Adam Jbali.

Cette diversité générationnelle a enrichi l’interprétation, alliant expérience et énergie nouvelle. 

Une œuvre dense et une mise en scène novatrice

Le texte, publié dans une version longue par Beit Al-Hikma, se distingue par sa langue arabe littéraire raffinée, ponctuée de touches de dialecte tunisien pour créer une proximité avec le public. Malgré un resserrement nécessaire du texte original, qui dépassait les quatre heures, l’essence dramatique et intellectuelle a été préservée.

La mise en scène de Hafedh Khalifa se démarque par l’utilisation de la scénographie numérique (« mapping ») orchestrée par Nour Jallouli, offrant un visuel saisissant qui fusionne parfaitement avec le contenu. 

Les danses symboliques, comme la tanoura et le stambali, ainsi que la musique live d’Ibrahim Behloul, ont amplifié l’émotion et la dimension spirituelle de l’œuvre.

Les costumes, inspirés de l’élégance hafside, et les décors évoquant des lieux iconiques de Tunis (comme les portes de la médina ou la mosquée de la Kasbah) ont ancré l’œuvre dans une identité tunisienne forte, tout en lui conférant une portée universelle. Ces éléments visuels et sonores ont créé une harmonie qui transcende le simple récit historique pour questionner le présent. 

 Une réflexion sur l’État et l’identité

« Mère des pays » dépasse le cadre d’un drame historique pour devenir une interrogation sur la souveraineté, la gouvernance et l’identité. En mettant en lumière les réussites d’Abou Zakaria et les dérives d’Al-Mustansir, l’œuvre explore les cycles de construction et de désintégration de l’État. 

Elle fait écho aux défis post-révolution de 2010 en Tunisie, marqués par des luttes politiques, des crises économiques et une dépendance parfois excessive vis-à-vis de l’étranger. Le texte critique l’absence d’une culture démocratique ancrée, soulignant que la démocratie exige un engagement civique et une maturité politique au-delà des simples mécanismes électoraux. 

L’identité tunisienne, présentée comme une force de résilience culturelle, occupe une place centrale. Les références aux symboles du patrimoine, tels que l’architecture et la musique, rappellent que l’appartenance se construit sur une conscience critique de l’histoire, capable de résister aux aléas du présent. 

Témoignages des artistes 

Lors de la conférence de presse post-représentation, Hafedh Khalifa a exprimé son attachement particulier à Hammamet, une ville symbolique pour sa carrière. Il a salué Ezzedine Madani, qu’il considère comme une référence incontournable, capable d’explorer l’histoire pour éclairer le présent. 

Madani, fort de ses quarante pièces théâtrales, a souligné que « Mère des pays » n’est pas un simple récit historique, mais une œuvre qui utilise le passé comme miroir du présent, intégrant mythe et symbolisme pour élargir les interprétations. Il a présenté Abou Zakaria comme un modèle de gouvernant juste, défenseur de l’équité et de l’émancipation féminine. 

Aziza Boulabiar, figure du théâtre tunisien depuis les années 60, a partagé son admiration pour les textes de Madani, qui l’ont marquée tout au long de sa carrière.

Abdellatif Boualegue a évoqué l’expérience unique de travailler avec Khalifa et Madani, louant le caractère épique de leurs créations. Jamila Camara et Jalel Eddine Saadi ont exprimé leur fierté d’incarner cette œuvre, portée par une langue littéraire exigeante et une vision artistique audacieuse. 

Une programmation vibrante à Hammamet

Le Festival International de Hammamet poursuit son élan ce soir, 17 juillet 2025, avec une soirée musicale réunissant le duo Jadhb et l’artiste Soudeni. Jadhb, avec son projet « Willia », fusionne le soufisme et les sonorités électroniques pour une expérience spirituelle unique, tandis que Soudeni, avec son style pop audacieux teinté de rythmes tunisiens, annonce un premier album prometteur. Cette nouvelle vague d’artistes tunisiens confirme la vitalité de la scène culturelle contemporaine.