Olympiade culturelle «Des exploits, des chefs-d’œuvre» : à Marseille, l’art et le sport en état de match

Vision:- Les trois volets de l’exposition déployée au Frac, au Mucem et au MAC s’apprécient comme une rencontre sportive au sommet. Nina Childress,1172 Goldengirl, 2023, huile sur toile. (Adagp 2024. /Courtesy the Artist.

Nathalie Karg Gallery. Concept, Paris. Collection Les Franciscaines, Deauville. Editions Dilecta) par Clémentine Mercier, envoyée spéciale à Marseille publié le 30 mai 2024 à 4h55

Le sport est un art et l’art est un sport : voilà l’évidence qui saute aux yeux à Marseille. Se la jouant collectif à l’occasion des Jeux olympiques, trois musées marseillais font équipe – le Fonds régional d’art contemporain (Frac Sud), le Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée (Mucem) et le Musée d’art contemporain (MAC) – pour une réjouissante expo commune, intitulée «Des exploits, des chefs-d’œuvre».

Force est de constater que les artistes rivalisent pour être sur le podium, lorsqu’ils partagent leur amour du sport.

Car l’art n’est pas exempt de compétition comme le souligne la photographe Elina Brotherus sur ses images au Frac : arrivée deuxième lors d’une course à pied, la photographe fait la gueule, ne masquant pas sa déception…

Surf, golf, boxe, basket, catch, tennis, football, les plasticiens sortent à Marseille le grand jeu, dans un parcours aussi plaisant qu’un bon match.

«L’exposition elle-même est une véritable performance, on expérimente l’espace», abonde le commissaire Jean-Marc Huitorel, spécialiste des liens entre art et sport et passionné par son sujet, à l’articulation des arts populaires et des arts savants. «Puisque le sport sature la société, l’idée est de saturer le musée d’œuvres.» Vision moins potache voire critique

Dans les grands espaces vitrés du Frac, les pièces monumentales, véritables tours de force, en mettent plein la vue.

Comme ce superbe filet de tennis à taille réelle en cyanotype (Jeremy John Kaplan), cette tapisserie géante un peu froissée qui représente des stars américaines du basket (Noel W. Anderson) ou ces désopilants supports en métal, sculptures qui permettent à Taro Izumi de s’asseoir pour reproduire pépère les gestes spectaculaires du football, comme le retourné acrobatique du buteur.

L’artiste s’est inspiré des photographies prises à la milliseconde pour créer ses structures absurdes.

NOEL W. ANDERSON Lebron in Transition, 2022 Tapisserie 121,92 × 106,68 cm Collection Frac Sud ©Frac Sud (Noel W. Anderson/Collection Frac Sud. Editions Dilecta)

Mais quand les artistes touchent au sport, c’est souvent pour en livrer une vision moins potache, voire critique : Estelle Hanania photographie avec élégance un catcheur travesti qui lutte contre les préjugés sexistes au Mexique, Louka Anargyros dénonce l’homophobie avec Leatherboys, des sculptures clinquantes de motards casqués qui se font des câlins et, avec Materazzi, Bianca Argimón critique la virilité extrême du foot en présentant un baby-foot dont les petits joueurs gisent sur le terrain. 

Invités à réaliser des œuvres, les élèves de l’Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence frappent juste avec des opercules dorés de yaourts qu’ils transforment en médailles.

Sur ces récompenses de fortune, alignées aux murs comme des trophées, des slogans – prélevés dans la presse – prennent leurs distances avec les JO («avalanche de béton», «la fête du fric», «le capitalisme de fête», «touche mes muscles»…). Levez le nez, il y a des ballons perchés, comme dans tout terrain sportif qui se respecte.

Espace d’exploration

Au MAC, place aux œuvres de format plus modeste, en deux dimensions, la peinture donc et la photographie… Dans un accrochage sage, il est amusant de constater à quel point le sport est un espace d’exploration pour les peintres. «Je me suis servi du sport pour poser des questions à la peinture», avance le commissaire Jean-Marc Huitorel. Des terrains aux articles de sport, des athlètes eux-mêmes à la géopolitique, les artistes scrutent les motifs, les lignes, les figures géométriques, les corps en mouvement, les attitudes, les positions… Ils en captent le flou, le bougé, le net, le précis et bien sûr les couleurs, souvent franches et alléchantes.

Comment ne pas être séduit pas les chattes surfeuses d’Alains Séchas, les gymnastes d’aérobic de Nina Childress, la perchiste élastique de Guillaume Pinard, le lanceur de poids dessiné au savon d’Alep sur panneau en plâtre de Jérémie Setton ou les lignes obsessionnelles des terrains de Christian Babou ? Dans une salle pour lui tout seul, Julien Beneyton déploie sa fascination pour le boxeur Jean-Marc Mormeck à travers 140 pièces – peintures, dessins, sculptures. «Heureusement pour moi, Mormeck a décliné le vrai combat que je lui proposais…» rapporte le peintre calmé qui a transformé son envie d’en découdre en musée hagiographique.

Au Mucem, ce sont plutôt les objets du sport qui occupent la piste, mélangés aux objets d’art. Couvertures de journaux, chaussures à crampons, ballon signé par Zizou, ballon de Pelé, ballon cube de Fabrice Hybert, ballon en bois de Barthélémy Toguo, gants de Mohamed Ali, skate de Bruno Peinado, skate de Tony Hawk… Dans un joyeux méli-mélo de coupes, de médailles, de reliques, de sculptures, c’est bien la fête du sport et de l’art. A moins que ce ne soit celle du spart et de l’ort ? «Des exploits, des chefs-d’œuvre» à Marseille. «L’Heure de gloire» au Frac Sud jusqu’au 22 décembre 2024, «Trophées et reliques» au Mucem et «Tableaux d’une exposition» au MAC jusqu’au 8 septembre 2024. Pour aller plus loin :